Sous la plage tunisienne, les pavés de la contestation sociale

Lundi 27 décembre 2010 : dixième jour d’émeutes en Tunisie – le pays des plages de sable fin, des complexes hôteliers où se déversent des charters entiers de touristes européens avides de soleil et de chirurgie esthétique discount, le pays du président pharaon qui règne sans partage avec sa famille dont l’avidité n’a d’égale que la corruption, le pays où l’opposition a le choix entre l’exil ou les tortures, le pays des relations diplomatiques excellentes avec la France des Droits de l’Homme à géométrie variable, le pays enfin – et même d’abord – des jeunes chômeurs diplômés qui n’en finissent pas d’être humiliés.

C’est justement l’un d’entre eux qui voulut mettre fin à ses jours ce 17 décembre, déclenchant une vague de grèves sans précédent dans le royaume pourri du « président » élu à 99%. Mohammed Bouazizi, 26 ans, était diplômé de l’Institut supérieur d’informatique de Mahdia ; faute de piston benaliesque, il ne trouva pas d’emploi. Seul soutien de famille, il devait pourtant travailler. Il se décida donc à vendre des légumes dans la rue, sur un étal improvisé. Mais la police municipale tunisienne, qui a beau être moins éduquée que les marchands de légumes à la sauvette, n’en est pas moins zélée et dotée d’un sérieux sens du service public : aussi confisqua-t-elle brutalement la marchandise du jeune homme ; il vendait dans une zone où il n’était pas autorisé à vendre – on se demande en vertu de quoi, sans doute du bakchich insuffisant que ces policiers avaient reçu. Les forces de « sécurité », comme elles se nomment ironiquement, ont donc à plusieurs reprises confisqué les biens et dégagé l’étal – avec toute la délicatesse que l’on peut imaginer. Un témoin oculaire a déclaré que le vendeur avait subi un assaut violent de ces forces d’insécurité. Mohammed Bouazizi aurait alors voulu déposer une plainte à la préfecture. Logique, dans un Etat de droit ; mais pas chez Ben Ali. Exaspéré, le jeune homme a un geste de désespoir : il s’immole par le feu devant cette même préfecture.

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